La clé

Publié le par Angel





Il sentit un objet plat au fond de sa pochette ,un objet froid,une petite clé orpheline sans anneau. La clé oubliée  ,la clé des "au cas ou"..qui n'avait jamais servi.
Elle ,était partie quelques jours chez des amis,en vacances du côté de Nancy.Il passa sa journée au bureau,classique des dossiers en cours; entre téléphone et flânerie solitaire du déjeuner,appels d'une amoureuse indiscrète et tenace ...et l'idée chaude confortable d'un temps bien rempli.
Le jour filait en demi teintes rosies comme le froid de l'hiver. Il prit son cartable,ses gants son écharpe,et pensa à cette petite clé blanche.
Une envie bizarre de voir sans être vu.
Une excitation toute nouvelle,le sens inconnu d'une première rencontre avec quelqu'un dont on saurait des indices,des bribes inachevés.La petite boule de plaisir liée à l'interdit,refaisait mille fois le chemin entre son ventre et son cerveau,sans qu'il réalise qu'il attendait déjà sur le bon quai de métro: Ligne 2.
Tout ce trajet était habituel,machinal ,sans surprise. 
"Ridicule!"cette pensée fulgurante "Qu'est ce que je fais? je perds mon temps,en plus je déteste ce quartier,et puis quel intérêt? " Il resta dans le compartiment,sans bien comprendre ce désir soudain de rompre ses habitudes;lui qui aimait planifier son temps,rentrer chez lui tranquillement quand rien qui n'en vaille la peine ,ne le détournait de sa vie.
Les stations s'éclipsaient les unes après les autres,il était arrivé.



Un sourire passa sur ses pensées ,fugace,invisible au monde des vivants "je suis comme un voleur,alors qu'il n'y a rien à cambrioler!" Le jeu revint plus fort que la bizarrerie de cette envie,et il pressa son allure,sans un regard autour de lui. En quelques minutes il franchit les différentes étapes des corridors,ascenseur..pallierde l'immeuble.
Il se trouvait devant la porte. Il sonna par précaution ou manie;il n'aurait pas su le dire. Puis glissa la clé dans la serrure .
Il poussa la porte .

Une vague odeur d'huile d'orange imprégnait la petite pièce meublée,sagement vide,et silencieuse.Il se tenait là,au milieu de ce nulle part ou il avait passé des heures de présence et d'absence.
L'envie presque immédiate de repartir. Mais il s'assit sur le canapé gris.Tous les livres s'alignaient indifférents sur leurs étagères muettes.
C'est drôle comme les choses se figent quand elles doivent se suffire à elles mêmes...Et pourtant il y a des gens qui savent les faire parler,se mouvoir,respirer et livrer leur secret. Les flics,par exemple;les medium aussi. Mais bon, assis là,rien ne lui disait rien,rien ne s'animait par enchantement.
Qu'était il venu chercher?
 "rien". Ce rien,comme un couperet définitif d'un voyage pas encore commencé.
Puis s'arrachant à cet engourdissement ,il se leva ,regardant pour la première fois les petites photos murales,instants d'autres vies qui croisaient des souvenirs évoqués sans doute,une fois..Mais il ne se souvenait pas...ce n'était pas son histoire.
Des perles de pierre,des verres en enfilade sur un collier improbable. Une lampe, des branches, un petit ours caché derrière le miroir, des anges et des plantes... Les anges,sourire - certains étaient vieux de plusieurs maisons consécutives..un seul était né ici,le petit rouge espiègle.
Et des livres ,des livres de toutes sortes de familles hétéroclites,allongés,rangés,empilés!
Il chercha du regard un mot posé sur un bout de papier,un bout de papier qui attendrait sa visite;déçu,un peu.  Évidemment il ne faisait jamais de visite surprise,alors!

Il prit un des bouquins ouverts ,posé à l'envers sans marque page,abandonné au milieu d'un paragraphe,sûrement.
de Mickaël Cohen "ça commence par la fin"...drôle de titre.
Son regard glissa sur les derniers mots de la page 146 ; des mots de  Jean ,le protagoniste :
"J'entends la porte s'ouvrir.J'aimerai lui demander de rester.Je voudrai tant qu'on s'endorme ensemble. Encore une fois. Me blottir dans son creux et ne plus bouger.Mais je ne sais plus ce qu'il faut faire. Je ne sais plus ce qu'il faut dire.Je ne sais plus rien." 
et il  continua
 "Nous sommes l'un en face de l'autre si proche.Et toujours cette distortion du temps...Mais nous nous retrouvons comme une évidence,nos baisers qui n'appartiennent qu'à nous.Nous ne pouvons plus nous arrèter. Nos baisers sont comme une première fois.Ou une dernière.La suite,je ne la connais pas encore.Je l'attends."

Il lut jusqu'au bout ,la nuit était enveloppante;le récit de cette passion chevauchait des images connues,des gestes coulés dans l"obscurité, des paroles et des silences limpides...parfois des silences plus compliqués.




Il ferma les yeux,hors du temps,hors de son corps et de sa conscience.
Il sentait à nouveau les parfums mélangés,les airs sérieux ,l'envie de se fondre et d'oublier le temps ...les autres. Mais le temps,les autres te rattrapent ,et tu ne sais même plus ce qui t'agace,une parole,un regard,une demande ,les mots que tu ne prononces pas et que tu devrais;les gestes que tu retiens,ceux que tu fais, dans les compartiments bien élaborés.
Elle caressait son visage du bout des doigts,parlait à son corps du bout des lèvres tendres ,douces;
ses babillements,ses sourires indulgents pour toutes les esquives ,et les vides qui meurtrissent.Des sourires joyeux pour le plaisir d'être deux,un peu...ses fesses,un geste ,le satin qui glisse. Un verre de vin abandonné,le téléphone éteint, "Est  ce que tu sais que je t'aime grand comme ça"...Relaxation,l'esprit s'écoule,un moment entre ses bras..le monde cesse d'exister,immobile. Main dans la main,allongés à jamais...allongés jusqu'à la fin de la torpeur,parce que tout à une fin.
Elle dit que non,que rien n'a de fin;que c'est juste ce qu'on veut bien. Qu'il ne faut que se donner tout l'amour que l'on nous a volé, un vieux jour d'enfance presque envolé. S'aimer,se toucher,ne pas lâcher la main qui a reconnu celle qui lui va comme une seconde peau.
Elle dit tant de choses, et il ne répond jamais. Pas jamais,mais pas souvent.Pourtant elle sait tout,presque tout;Il y a ce quelle devine ,ce qu'elle sent, ce qu'elle tait,et ce qu'il dit.
Il reste les yeux fermés;d'autres images,d'autres gestes,d'autres visages,des superpositions de lieux,des enchevêtrements;un seul serrement tout au fond de la poitrine.
Un visage se détache,des yeux envahissent les siens,et les larmes coulent lentement,sans frein,sans délivrance.
Cette nuit,il s'endormira sur le canapé gris.
Seul.
 

Publié dans amour

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R
<br /> Je sais, après avoir lu ce passage, que j'aimerai lire ce qui précède et ce qui suit!<br /> Dans ce court passage (oui, je sais, c'est un texte plus long que d'habitude!) il y a déjà un tel climat, des sentiments si marqués et si flous à la fois...qu'on attend, qu'on espère, une<br /> suite!<br /> Bonne soirée, Angel, et plein de bises<br /> <br /> <br />
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B
<br /> ce style est une merveille, l'histoire magnifique... ce pourrait être juste un rêve, ce pourrait être vrai, c'est un morceau de vie où tout est sublimement dit...si je comprends bien tu as d'autres<br /> morceaux... (avant et après)... le roman s'écrit doucement.... tu as un grand talent, tu nous entraines dans des vertiges de sentiments.... chapeau ! bisous mon amie...<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> Une belle petite Nouvelle que cette clé, angel. Bonne année à toi et mes meilleurs voeux de bonheur et de santé pour toi et les tiens.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> drole de visiteur. c'est la maison des souvenirs ? celle dont on garde précieusement la clef....<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br />  Non, tu as dû manqué le début...visite en absence.<br /> mais pourquoi pas  ?<br /> <br /> <br /> <br />
O
<br /> Lorsque l'on "doit se suffire à soi-même" on n'existe vraiment pas. Un simple regard porté à l'image sur le mur et tout s'anime, à moins que l'image-source renferme ce pouvoir de féconder<br /> une imagination qui n'attendait qu'à être sollicitée. Comme tu décris si bien cette montée qui culmine pour retomber, car elle est vie. C'est du moins ce que j'ai ressenti.<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Je pense à l'objet,quand il ne devient plus qu'objet visuellement,sans la personne qui "l'animait"..(comme après un décès..on a parfois un choc dans une pièce qu'on ne reconnait plus..sans<br /> celui(elle) qui s'y trouvait. ...Si tu vois ce que je veux dire.<br /> <br /> Ce moment ici ,raconte   la journée du protagoniste qui part d'une certaine désinvolture,passant par une idée saugrenue pour arriver à l'émotion déclenchée par un lieu,une lecture..et les<br /> images mêlées de sa vie "remontent"<br /> <br /> <br />